زن زندگی آزادی ! Zan zendegui azadi ! Jin, jiyan azadi ! Femmes, vie, liberté ! Le chant des femmes iraniennes résonne aujourd’hui jusqu’à vous, vos poils s’hérissent face à la cruauté décomplexée du régime politique néo-sultanique [1] iranien.

Parallèlement au concert du talentueux Hedi Azarpour, peintre-musicien d’origine kurde et réfugié politique en Suisse, Henosis organise une récolte de dons en faveur de l’association Zan Zendegui Azadi en soutien aux femmes se battant pour leur liberté en Iran et dans le monde. Les fonds récoltés iront principalement au financement d’une exposition itinérante du photographe-messager Benoît Lange et du peintre Mustafa Parvin.

Dans une démarche informative, l’équipe d’Henosis vous propose un survol référencé de l’Histoire d’Iran. Nous y abordons les éléments qui nous paraissent essentiels à la compréhension de la situation actuelle de la condition de la femme et des populations stigmatisées dans ce si beau pays qu’est l’Iran.

La dynastie des Shah Pahlavi

                De la Perse à l’Iran

Pour saisir la condition actuelle de la femme iranienne, remontons aux dernières heures de l’Empire Perse. Ayant gravi les échelons d’une armée désorganisée, le futur Reza Shah Pahlavi passe la porte de Téhéran suivi de 1200 hommes dans la nuit du 20 au 21 février 1921. Après plusieurs années de discorde, ce coup d’état sécurise la capitale historique et lui permet de gagner le titre de chef des armées, de poser la première pierre de l’émergente dynastie Pahlavi.[2] Mettant en fuite les influences russes et britanniques, Reza Shah Pahlavi est couronné en 1925 et entame une modernisation nationaliste en mettant en place un système politique s’inspirant de l’Occident. En une dizaine d’années, des écoles et des universités sortent de terre, le système judiciaire s’émancipe des juges religieux, la Perse devient l’Iran, l’usage d’un patronyme est introduit et le port du voile dans les lieux publics est prohibé[3].

Couronnement de Reza Shah

                Des intérêts divergents, du pétrole et de l’anticommunisme

À l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, Reza Shah intensifie ses échanges commerciaux avec l’Allemagne et ne compte pas y renoncer. Craignant notamment que le Reich hitlérien mette la main sur les conséquents gisements pétrolier nécessaires à l’approvisionnement de l’URSS, l’Alliance anglo-soviétique envahi l’Iran en 1941 et se fait rapidement soutenir par de nombreux soldats américains. Bien que des relations diplomatiques existaient déjà entre l’Iran et les Etats-Unis, celles-ci prennent un tournant majeur[4]. Reza Shah est poussé à l’abdication et son fils Mohammad Reza Pahlavi revêt la couronne[5].

Mohammad Reza Pahlavi

L’occupation des territoires par les forces alliées, et par conséquent le retrait des troupes iraniennes de certaines régions, offre la possibilité au nouveau Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de proclamer la première République Kurde : la République de Mahabad. Ce parti accorde une importance toute particulière à l’égalité entre hommes et femmes ainsi qu’au respect de la dignité humaine. Malheureusement, avec l’aide des forces américaines et britanniques, la monarchie iranienne arrêta les principaux responsables de la République de Mahabad et les fit emprisonner ou tuer[6].

Dès la fin de la Guerre, les intérêts liés à l’industrie pétrolière et à la confrontation communiste deviennent les enjeux principaux[7]. Malgré un accord sur le retrait de l’occupation signé en 1942 entre l’Iran, la Grande-Bretagne et l’URSS, les troupes soviétiques campent sur leurs positions et sympathisent avec le Parti démocratique d’Azerbaïdjan (PDA). Avec l’aide des Etats-Unis, l’Iran arrive à obtenir le retrait des troupes soviétiques, à réduire drastiquement l’influence du PDA et à reprendre ainsi le contrôle sur le Nord-Ouest du pays en 1946. Dès lors, l’Amérique s’immisce concrètement dans les affaires politiques iraniennes[8].

Sous le gouvernement du premier ministre Mohammad Mossadegh, fondateur du Front national iranien, la nationalisation des productions pétrolières commence et s’oppose frontalement aux intérêts capitalistes occidentaux. Avec l’aide de la Grande-Bretagne, l’administration Eisenhower met en place le renversement du gouvernement Mossadegh[9] et renégocie les participations à l’exploitation pétrolière[10] en 1954. Au dépit des intérêts de la population iranienne, Ils s’en suivirent plusieurs manigances mercantiles et anticommunistes entre la monarchie de Mohammad Reza Pahlavi et les Etats-Unis.

Mohammad Reza Pahlavi et la condition féminine

Dès 1967, Mohammad Reza Pahlavi instaure la Loi de la protection de la famille. Celle-ci va profondément changer la structure sociétale et la condition de la femme iranienne. L’âge minimum de mariage pour les filles, qui s’élevait à 13 ans jusqu’alors, est relevé à 15 puis 18 ans. Les femmes obtiennent le droit au divorce et à la garde de leurs enfants. La polygamie est règlementée et oblige l’homme souhaitant se remarier à obtenir l’accord de sa première femme. Aussi, les Iraniennes obtiennent le droit à l’avortement en 1975 [11].

La République Islamique

De la république islamique – la vision de l’ayatollah Ruhollah Khomeini (1979-1989)

Le peuple d’Iran n’en peut plus de la politique de Mohammad Reza Pahlavi. Plusieurs milliards de dollars sont investis dans l’achat d’équipement militaire américain, les expatriés occidentaux font flamber le prix du logement, l’ancien directeur de la CIA Richards Helms est nommé ambassadeur, les conseillers militaires américains et leur famille obtiennent l’immunité judicaire[12]. C’en est trop, la révolution éclate.

Contraint à l’exile quinze ans plus tôt, notamment pour ses critiques face à la politique pro-étasunienne, l’ayatollah Ruhollah Khomeini réussit à profiter de la colère du peuple iranien et met en place la République islamique d’Iran en 1979[13]. Malgré le message de paix sous-jacent les valeurs de l’islam, l’ayatollah impose les lois contraignantes de la charia et du chiisme orthodoxe. Parvin Ardalan en parle en ces mots : « Les femmes, désignées comme objets sexuels provocateurs nécessitant d’être dominées et contrôles par les hommes, furent au cœur de la politique de genre de l’Etat islamique. L’accent mis sur la symbiose entre la religion et la politique, la création d’un système juridique régit par la charia, la séparation de l’espace public et privé pour les femmes constituèrent le point de départ du nouvel Etat islamique de 1979. Le port du voile, rendu obligatoire, et l’abrogation de la loi sur la protection de la famille de 1967 […] apparurent comme les premiers signes du changement. Suivirent le démantèlement du droit de garde et de tutelle de l’enfant, du droit au logement, la suppression de la restriction de la polygamie, du droit au divorce pour la première épouse en cas de remariage du mari, de l’interdiction du mariage des enfants mineurs »[14]. La révolution culturelle a commencé et la femme iranienne perd la reconnaissance de sa dignité.

Ruhollah Khomeini

L’Iran s’engouffre dans de nouvelles souffrances. La guerre Iran-Irak éclate, le neo-sultanat de Khomeini réduit au silence les dissidents, les opposants politiques, les ethnies arabes, kurdes, baluchi, turcs et les autres doctrines spirituelle. Les journaux et médias sont fermés, la musique interdite à la diffusion[15].

                Du réformiste Mohammad Khatami (1997-2005)

Ali Khamenei

Mort en 1989 Ruhollah Khomeini a laissé sa place à l’actuel guide suprême Ali Khamenei. Huit ans plus tard,  le président réformiste Mohammad Khatami est élu et donne une lueur d’espoir aux femmes iraniennes. Il nomme symboliquement deux femmes aux fonctions de vice-présidentes. Massoumeh Ebtekar sera chargée des affaires liées à l’environnement et Zahra Shodjaï sera responsable des questions féminines[16]. Cette situation relativement favorable permet aux Iraniennes d’organiser le premier rassemblement public des femmes le 8 mars 1999. Voilà vingt ans que celles-ci sont réduites au mutisme public et s’organisent secrètement pour luter – groupes d’études, ateliers d’écriture, analyses juridiques, projections de films et autres « cercles de femmes » sont autant de manières de résister[17].

                Du conservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013)

L’élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2005 redonne un élan conservateur au régime. L’oppression envers les Iraniennes, les minorités ethniques et les homosexuels reprend de plus belle et la police des mœurs est mise en place.

En 2009, l’élan d’espoir amené par le progressiste candidat à la présidence et ancien premier ministre Hossein Moussavi est vite balayé par les élections corrompues d’Ahmadinejad[18]. Hommes et femmes descendent à nouveau dans les rues et protestent sous le slogan « Où est mon vote ? »[19]. L’intense répression finira tristement par imposer une période de silence, de frustration et de désespoir[20].

Femmes, vie, liberté !

Sous les gouvernements de Hassan Rohani (2013-2021) et d’Ebrahim Raïssi (2021-) la révolte continue et prend différentes formes. La répression ne faibli pas, au contraire elle s’intensifie et décourage les initiatives communes.

Les revendications à l’encontre du régime iranien sont multiples et complexes, la question de la condition de la femme est seulement un des différents aspects. À défaut de pouvoir s’exprimer publiquement, au risque de mettre sa vie en jeu, la résistance se déroule principalement à l’abri des regards et s’exprime notamment par les arts. En fonction des générations, les décors varient – salons, caves, toits, montagnes ou déserts reculés. Une fois le seuil de la maison franchi, le voile social peut tomber. Le vin est servi, le foyer du narguilé scintille et la musique se libère[21].

Toutefois, motivées par le courage, les initiatives individuelles existent et se transforment parfois en mouvement de masse. Certaines femmes osent faire tomber le voile en public et suscitent ainsi les émotions de celles et ceux qui les observent. En 2018 Vida Movadeh brave les interdictions et brandit son hijab en pleine rue. Pour cela, Vida, celles qui l’ont rejoint ainsi que leurs avocates seront incarcérées et humiliées[22].

Plus récent encore, Jina Amini, une jeune iranienne d’origine kurde accusée d’avoir mal porté son hijab, est décédée le 16 septembre 2022 à la suite de son arrestation par la police des mœurs. Cet acte de barbarie a pris une ampleur que les haut dignitaires iraniens[23] n’avaient pas prévu. D’importantes manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes d’Iran et ailleurs dans le monde[24]. Tristement, la répression voulue par Ali Khamenei et Hossein Moussavi s’est traduite par l’arrestation et la mort de nombreuses autres personnes. Espérons que cela indignera sincèrement la communauté internationale, que la pression politique et économique déjà en vigueur sur le gouvernement iranien puisse s’intensifier, que les Iraniens et Iraniennes désirant un pays nouveau soient d’autant plus motivés, courageux et puissent obtenir le résultat de leur long et intense combat.

Issu du long métrage d’animation français Persepolis réalisé par Vincent Peronnaud et Marjane Satrapi, inspiré de la bande dessinée du même nom.

[1] THERME, Clément, De la nature du régime iranien, in Relations internationales, 2013/2, p. 149.

[2] ARFA HASSAN, https://www.universalis.fr/encyclopedie/reza-khan/, consulté le 2 janvier 2023

[3] DIGNAT, Alban, https://www.herodote.net/31_octobre_1925-evenement-19251031.php, consulté le 2 janvier 2023

[4] KELNNER, Thierry, DJALILI, Mohammad-Reza, Au centre pétrolier du monde : le golfe persique, in Outre-terre, 2006/1, p.343

[5] LIMBERT, John, Les Etats-Unis et l’Iran : de l’Amitié à la Rancœur, in La Découverte « Hérodote », 2018/2, p. 71.

[6] RIBAU, Patrick, La république éphémère de Mahabad au Kurdistan d’Iran, in La pensée, Fondation Gabriel Péri, 2017/1, p.82.

[7] KELNNER, Thierry, DJALILI, Mohammad-Reza, Au centre pétrolier du monde : le golfe persique, in Outre-terre, 2006/1, p.344

[8] LIMBERT, John, Les Etats-Unis et l’Iran : de l’Amitié à la Rancœur, in La Découverte « Hérodote », 2018/2, p. 71.

[9] GASIOROWSKI, M. J., The 1953 Coup d’Etat in Iran, in International Journal of Middle East Studies, vol.19, p.261-286.

[10] KELNNER, Thierry, DJALILI, Mohammad-Reza, Au centre pétrolier du monde : le golfe persique, in Outre-terre, 2006/1, p.344

[11] KIA-THIEBAUT, Azadeh, Famille et mutations sociopolitiques : l’approche culturaliste à l’épreuve, Editions de la Maison des sciences de l’homme, Paris, 2005, p. 89-123.

[12] LIMBERT, John, Les Etats-Unis et l’Iran : de l’Amitié à la Rancœur, in La Découverte « Hérodote », 2018/2, p. 74-76.

[13] LIMBERT, John, Les Etats-Unis et l’Iran : de l’Amitié à la Rancœur, in La Découverte « Hérodote », 2018/2, p. 77-78.

[14] ARDALAN, Parvin, Femmes iraniennes en lute : le cauchemar du régime islamique, traduit de l’anglais par Thierry Baudoin, in Multitudes, 2021/2, p.103-104.

[15] ARDALAN, Parvin, Femmes iraniennes en lute : le cauchemar du régime islamique, traduit de l’anglais par Thierry Baudoin, in Multitudes, 2021/2, p.104.

[16] MINOUI, Delphine, Iran : Les femmes en mouvement, in Les cahiers de l’Orient, 2010/3, p.87.

[17] ARDALAN, Parvin, Femmes iraniennes en lute : le cauchemar du régime islamique, traduit de l’anglais par Thierry Baudoin, in Multitudes, 2021/2, p.105.

[18] LAMARCHE-VADEL, Gaëtane, Révolte et ivresse, in Multitudes, 2021/2, p.120.

[19] ARDALAN, Parvin, Femmes iraniennes en lute : le cauchemar du régime islamique, traduit de l’anglais par Thierry Baudoin, in Multitudes, 2021/2, p.105.

[20] ARDALAN, Parvin, Femmes iraniennes en lute : le cauchemar du régime islamique, traduit de l’anglais par Thierry Baudoin, in Multitudes, 2021/2, p.108.

[21] LAMARCHE-VADEL, Gaëtane, Révolte et ivresse, in Multitudes, 2021/2, p.122-127.

[22] LAMARCHE-VADEL, Gaëtane, Révolte et ivresse, in Multitudes, 2021/2, p.121.

[23] Nous parlons ici des ayatollahs, mollahs, politiciens et autres membres décideurs iranien en faveur de la République islamique en place.

[24] JAHANBEGLOO, Ramin, L’éveil politique d’une génération en Iran, in Esprit, 2022/12, p.23-25.


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